Splendeurs et misères de l’évaluation professionnelle et des systèmes de rémunération : benchmark et forced ranking, les fausses bonnes idées.


Loin de moi, l’idée de fustiger l’évaluation des salariés en entreprise !

Faire le point et porter un regard objectif sur les compétences professionnelles me semblent être une façon de formaliser l’évolution d’un salarié et, le cas échéant, de se poser des questions si l’évaluation n’est pas celle attendue. Défaut de management ? Politique du flou en matière d’objectif ? Défaillance du salarié ? Tous les cas sont possibles et autant détecter au plus tôt ce qui laisse à désirer plutôt que de risquer de laisser une situation produire des effets délétères…

Si les systèmes d’évaluation doivent  se montrer « pertinents au regard de la finalité poursuivie, c’est-à-dire, l’appréciation des compétences professionnelles du salarié », les critères d’évaluation doivent être «  objectifs, transparents et présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi occupé ».
La loi se montre limpide sur ces aspects –  article L.1222-3 du code du travail – étayée par  plusieurs jurisprudences.
Profitons pour rappeler ici que la mise en œuvre d’un système d’évaluation  nécessite sa  soumission préalable à la consultation des représentants du personnel, dont le CHSCT (article L.4612-8 du code du travail).

Ceci étant rappelé, 2 méthodes d’évaluations ont défrayé la chronique et donné lieu à des jugements retentissants : le benchmark et le forced ranking.

Le benchmark  ou la mesure de la performance.

Le 4 septembre 2012, le Tribunal de Grande Instance  de Lyon a interdit la pratique du benchmark à la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes Sud.
Le motif de cette interdiction – assortie d’une amende de 10 000 euros – étant que cette  pratique n’est pas sans conséquence sur la santé mentale des salariés, créant un stress intense et une ambiance franchement dégradée. 
En quelques mots,  le benchmark est un système de gestion des performances de travail. Il consiste en la mise en concurrence permanente, en continu,   des  salariés et, dans le cas de la Caisse d’Epargne,  d’une mise en concurrence permanente  des salariés des différentes agences de la banque. De plus, la part variable des rémunérations est calculée par rapport aux performances des salariés. En clair, un salarié présentant des résultats moins performants au sein de son agence pénalise ses collègues. 
On jugera de l’ambiance autour de la machine à café…
Le seul mot d’ordre est donc « faire mieux que les autres ! ». 
Exit les objectifs clairement définis !
Ce qui s’est traduit à la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes Sud pendant 5 années par la mise en concurrence et par l’analyse quotidienne des résultats des agences mais aussi par l’évaluation permanente de la performance de chaque employé.
En soi, la recherche du résultat n’est pas mauvaise pour une entreprise,   loin de là ! 
Mais quid des salariés qui ne rentrent pas dans une logique du « toujours plus », de la performance à outrance  et d’une certaine fuite éperdue en avant ?

Le problème du benchmark ne réside pas  nécessairement dans son système en lui-même mais bien dans son omission du facteur de  la santé au travail et notamment de celui des risques psychosociaux.
Enfin, on se posera la question de la valeur  humaine d’une entreprise qui ne propose pas d’autres objectifs à ses salariés que de se dépasser sans cesse les uns les autres…
« Esprit d’équipe,  es-tu encore là ? »
Le forced ranking : dans des petites cases à tout prix !

Le cas du forced ranking est diffèrent même si ses effets sont semblables à celui du benchmark.
Il s’agit d’un système qui consiste à classer les salariés selon des quotas définis à l’avance. Tant de salariés seront bien notés et tant de salarié seront mal notés. Il n’y a pas moyen de déroger à la règle du jeu, tous les salariés devront être classés dans l’une ou l’autre des catégories…
Et c’est bien là où le bât blesse : le classement est forcé et devient vite inique !
Si vous avez 100 salariés et obligation d’en classer 50 en « bons » et 50 en « mauvais » vous pouvez être amené à classer des salariés « bons » en « mauvais » alors qu’ils ne le méritent pas…

Ce système de classement des salariés a été jugé illégal en France – contentieux CGT/AIRBUS –  et facteur d’un stress continu pour les salariés.
Ce système nous vient des Etats-Unis, où une  entreprise américaine sur cinq  pratique le forced ranking, après avoir suivie l’exemple de General Electric et de son dirigeant Jack Welch. 
Avec l’appui d’une « courbe de vitalité », semblable en tout point à une courbe de Gauss, permettant de classer les collaborateurs en 3 catégories (les 20% de « meilleurs », les 70% de « bons »,  les « à-jeter » car étant dans les 10% des moins-bons), chaque directeur se devait de répartir ses cadres selon les pourcentages définis, instaurant le « rank and yank » (classer et virer) comme une bonne méthode managériale de gestion des effectifs et des compétences.
L’idée de Jack Welch était claire : ne conserver que le gratin, s’entourer des collaborateurs aux performances les plus impressionnantes et tirer l’entreprise toujours plus vers le haut.
Encore une fois, ce type d’évaluation fait l’impasse sur le stress phénoménal qu’il peut générer en se bornant à faire l’apologie de la toute-puissance de la compétition et du culte de la performance.

Quid des directeurs forcés de « liquider » des collaborateurs par un classement contestable ? Ils n’ont pas intérêt à se rebiffer et à remettre le système en question sous peine de se voir classer… dans les 10% des « à-jeter » ! 
“Rank and yank”, on vous dit !

Je tiens tout de même à apporter une précision sur le ranking. 
Si le forced ranking est condamnable, il n’en va pas de même du ranking. 
La loi autorise tout à fait le classement des salariés pour peu qu’il soit effectué en fonction des performances et des compétences individuelles… ce qui est donc une toute autre histoire !

Pour conclure, il me semble juste de rappeler que les entreprises ont besoin de la performance de leurs salariés pour survivre.
Or, ceux-ci ne seront réellement et durablement performants que collectivement. 
Les « divas » de service, même si elles ont des résultats époustouflants  individuellement finissent toujours par pourrir une ambiance de travail et par baisser le niveau collectif. A force de tout faire pour faire être au top, au firmament, y compris écraser les autres,  elles nuisent à la puissance du collectif et à sa capacité de mobilisation… C’est ce type de comportement et de personnalité que le forced ranking  et le benchmark risquent de privilégier.

Plutôt que de transformer les entreprises en arènes de boxe sauvage ou seul survivra le plus féroce, réhabilitons les équipes vivantes, celles où on prend plaisir à être présent, à travailler ensemble, celles où se croisent des personnalités diverses mais qui s’avèrent riches humainement, celles où le mot « collectif » prend tout son sens, celles enfin où on sait qu’on est embarqué sur le même bateau et que ramer ensemble est la seule vraie force,  surtout dans la même direction…*



Ce type d’approche était conseillé par Peter Drucker qui voyait d’un très mauvais œil la promulgation d’une concurrence farouche intra-entreprise.

Par Sandrine Virbel



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